Cancer du sein : la bioprothèse innovante d’Healshape après une mastectomie
Après une carrière chez Sanofi Pasteur, Sophie Brac de la Perrière a choisi de consacrer son énergie à une cause trop souvent négligée : permettre aux femmes de se réapproprier leur corps après un cancer du sein. La start-up Healshape développe actuellement une bioprothèse unique, naturelle et résorbable, qui replace la régénération des tissus au cœur du processus de reconstruction mammaire.
Dans cet entretien accordé à Enflammé.e.s le 24 octobre 2024, Sophie partage sa vision féministe de la santé, son engagement pour des solutions respectueuses du corps féminin, et les défis d’une innovation pensée pour les femmes.
Vous êtes la CEO et une cofondatrice de Healshape. Quelle est la solution proposée par votre entreprise pour les femmes ayant subi une mastectomie ?
Healshape est une startup créée en 2020 à Lyon avec cinq autres cofondateurs, spécialisée dans la médecine régénérative. Nous développons une bioprothèse mammaire naturelle et résorbable, imprimée en 3D à partir de matériaux biosourcés. Cette prothèse a pour objectif de reconstruire le sein des femmes ayant subi une mastectomie après un cancer du sein.
Concrètement, cela signifie que nous utilisons des matières naturelles pour produire un hydrogel et créer une matrice qui va servir de support temporaire aux tissus de la patiente. Une fois implantée, cette matrice apporte un volume et une forme avec un ressenti naturel, elle favorise la régénération des tissus et se résorbe progressivement, laissant place aux cellules de la patiente qui reconstruisent son propre sein.
Ce processus, totalement naturel, permet à la femme de retrouver son sein sans devoir subir de nouvelles opérations ou vivre avec des matériaux synthétiques dans son corps, comme les prothèses traditionnelles en silicone.
“Ce qui est essentiel pour nous, c’est que cette bioprothèse puisse être adaptée à la morphologie de chaque patiente, grâce à l’impression 3D.” — Sophie Brac de la Perrière
Vous avez fait le choix audacieux de quitter une carrière bien établie dans l’industrie pharmaceutique pour vous lancer dans l’entrepreneuriat avec Healshape. Qu'est-ce qui vous a poussée à faire ce grand saut, et pourquoi spécifiquement ce domaine de la reconstruction mammaire ?
Effectivement, avant Healshape, j’ai travaillé seize ans dans un groupe pharmaceutique, chez Sanofi et Sanofi Pasteur, dans des postes de business development et partenariats à l’international. Mais quelque chose, au fond de moi, m’incitait à prendre une autre direction. J'avais besoin de me mettre au service d'une cause qui résonnait profondément en moi. J’ai décidé d’entreprendre. Et c’est de la rencontre avec mes cinq cofondateurs, tous experts dans différents domaines de la bio-impression, la médecine régénérative, la chirurgie et le développement de produits qu’est née Healshape.
En observant le domaine de la reconstruction mammaire, nous avons pris conscience du manque criant d’alternatives respectueuses du corps des femmes. Après une mastectomie, les options proposées sont encore limitées : d'un côté, des prothèses synthétiques qui doivent être remplacées régulièrement et qui peuvent entraîner des complications ; de l'autre, des chirurgies lourdes et invasives, loin d’être accessibles à toutes. Nous avons donc eu l’ambition de concevoir une solution innovante à la fois naturelle, résorbable et personnalisée.
Aujourd'hui, malgré l'existence de solutions de reconstruction mammaire, beaucoup de femmes choisissent de ne pas se faire reconstruire après une mastectomie. Comment expliquez-vous cette réticence ?
Les raisons sont multiples, mais elles sont souvent liées à l’insatisfaction face aux options actuelles. Les prothèses synthétiques, comme celles en silicone, ont des risques de complications et doivent être remplacées tous les dix ans, ce qui implique des opérations régulières. Ces dispositifs sont aussi associés à des scandales, comme celui des implants mammaires à base de gel de silicone fabriqués par la société Poly Implant Prothèse (PIP) en 2010, qui a laissé une trace profonde dans l’esprit des femmes. À côté de cela, les alternatives naturelles, comme le lambeau ou le lipofilling, sont des opérations longues et invasives, qui nécessitent une réappropriation de parties du corps pour reconstruire le sein. Certaines femmes n'ont pas suffisamment de graisse pour un lipofilling ou sont découragées par la lourdeur de ces opérations répétées. En somme, pour beaucoup, il n’y a pas de solution véritablement satisfaisante, ce qui pousse certaines à renoncer, épuisées par le long parcours médical qu’elles ont déjà traversé.
En créant une solution qui favorise la régénération naturelle des tissus, pensez-vous que Healshape peut aider les femmes à mieux accepter leur corps après l’opération ?
Oui, c’est exactement notre ambition. Notre bioprothèse est conçue pour offrir un résultat qui se rapproche le plus possible du naturel. Elle respecte le corps des femmes, tant par sa composition que par son toucher et son processus. Le fait qu’elle se résorbe et permette à la patiente de retrouver ses propres tissus crée une approche beaucoup plus douce et respectueuse du corps. Cela aide à éviter cette sensation étrangère que beaucoup de femmes décrivent après la pose d’une prothèse synthétique.
“En fin de compte, l’objectif est de permettre aux femmes de se réapproprier leur corps après une épreuve aussi marquante qu’une mastectomie, de manière plus sereine et harmonieuse.” — Sophie Brac de la Perrière
Seulement un tiers des femmes choisissent actuellement la reconstruction mammaire après une mastectomie. Disposez-vous de données plus récentes, notamment en France, et avez-vous observé une évolution de ce chiffre ?
Ce chiffre reste stable, avec environ 30 à 35 % des femmes qui choisissent une reconstruction en France. Ce qui change légèrement, c’est que de plus en plus de reconstructions immédiates sont réalisées, c'est-à-dire au moment même de la mastectomie. Cependant, les disparités sont énormes en fonction de l’hôpital ou du chirurgien. Certains établissements offrent une grande variété de choix, tandis que d’autres se limitent à une ou deux options. Cela crée des inégalités, car l’accès à la reconstruction dépend largement de l’endroit où l’on habite et du professionnel de santé auquel on s’adresse.
Octobre Rose est une période clé pour sensibiliser au cancer du sein et à la reconstruction mammaire. Comment Healshape s’inscrit-elle dans cette dynamique de sensibilisation ?
Octobre Rose est un moment crucial pour nous comme pour toutes les associations de patientes et entreprises qui travaillent autour du cancer du sein. C’est une période où l’on parle beaucoup de dépistage, de prévention, mais aussi de reconstruction. Chez Healshape où nous sommes une dizaine, nous sommes évidemment engagés tout au long de l'année. La reconstruction mammaire est un enjeu quotidien pour les femmes qui traversent cette épreuve. Cela dit, cette campagne annuelle nous offre une plateforme supplémentaire pour partager notre vision.
En juin 2022, vous avez levé 6 millions d’euros pour financer le développement de votre bioprothèse. Où en êtes-vous aujourd’hui dans le développement de votre produit ?
Cette levée de fonds de 6 millions d’euros nous a permis de franchir plusieurs étapes importantes pour le développement de notre bioprothèse, notamment le renforcement de l’équipe et nos compétences, la poursuite de nos essais et de nouveaux partenariats avec des hôpitaux, professionnels du monde médical et associations de patientes. Nous sommes actuellement en phase préclinique, c’est-à-dire que nous réalisons des tests pour vérifier la sécurité et l’efficacité de notre produit avant de pouvoir le tester sur des patientes. Cette phase prend du temps car il s’agit d’un dispositif médical régénératif et résorbable, et il est essentiel de bien valider chaque étape avant d’aller plus loin. Nous espérons démarrer les essais cliniques en 2026.
Mais pour obtenir le marquage CE qui nous permettra de commercialiser notre solution dans l’Union européenne, il nous faudra encore financer des études cliniques et donc lever des fonds supplémentaires, soit plusieurs millions d’euros.
Vous parliez de l’importance des soutiens financiers pour continuer à développer votre bioprothèse. Avez-vous bénéficié de financements publics ou privés pour ce projet ?
Oui, nous avons notamment bénéficié dès le départ du soutien financier de Pulsays, la SATT (Société d’Accélération de Transfert de Technologie) de Lyon Saint Etienne, de subventions publiques nationales (via Bpifrance) et régionales (Auvergne Rhône-Alpes), de prêts. Nous avons été lauréats du concours d’innovation i-Lab 2020, organisé par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation en partenariat avec Bpifrance. Tous ces appels à projets et financements publics nous ont aidés à financer notre recherche. La levée de fonds de 2022 nous a donné les moyens de notre ambition avec l’entrée au capital de fonds d’investissement et business angels.
“Ces soutiens sont essentiels pour des entreprises comme la nôtre, car le développement d’un dispositif médical est un processus long et coûteux. Nous avons encore du chemin à parcourir pour atteindre la commercialisation, mais nous avançons pas-à-pas.” — Sophie Brac de la Perrière
En tant qu’entrepreneure dans le domaine de la santé, et plus particulièrement dans un secteur aussi innovant que celui de la médecine régénérative, quels sont les principaux défis auxquels vous faites face ?
Les défis sont nombreux. D’abord, il y a le défi personnel. Comme beaucoup de femmes entrepreneures, j’ai souvent ressenti le syndrome de l’imposteur. On se demande toujours si on est à la hauteur, si l’on mérite d’être là. Ensuite, il y a les défis inhérents au développement d’un produit aussi innovant. Créer une prothèse naturelle et régénérative est un processus complexe, et il faut constamment jongler entre les avancées techniques, les contraintes réglementaires, les besoins des patientes et les exigences du monde médical. Enfin, il y a les défis financiers, car lever des fonds pour un projet de cette envergure est toujours un parcours difficile, d’autant plus dans le secteur de la santé, qui est très spécifique dans son business model. Mais je crois beaucoup en ce projet, et cela me motive chaque jour.