Isabelle Joschke : lutter contre les stéréotypes dans un océan de défis

Série Vendée Globe 2024 - épisode 1 sur 5

La dixième édition du Vendée Globe partira le dimanche 10 novembre 2024, Isabelle Joschke s'apprête à relever pour la seconde fois ce défi monumental à bord de son IMOCA MACSF.

La navigatrice franco-allemande se confie dans un entretien exclusif accordé à Enflammé.e.s le 22 octobre 2024. À une semaine du grand départ, elle partage son engagement pour la mixité dans le monde de la voile, porté par son association Horizon Mixité. Elle revient aussi sur son combat pour que les femmes puissent s’affirmer dans des domaines encore marqués par des stéréotypes de genre.

Isabelle Joschke à bord de l’IMOCA MACSF (Ronan Gladu / Voile MACSF)

 

Vous êtes une fervente défenseuse de l'égalité des genres avec votre association Horizon Mixité créée en 2012 et dont vous êtes la présidente. Pourquoi est-il essentiel pour vous de militer pour cette cause, et quels changements espérez-vous voir dans le monde de la voile ?

Il est essentiel de militer pour cette cause, car il existe encore de grandes inégalités, notamment dans le monde de la voile. Sur les quarante bateaux qui prendront le départ du Vendée Globe cette année, seulement six seront skippés par des femmes, ce qui est proportionnellement moins qu'il y a quatre ans lors du Vendée Globe 2020-2021. Même avant cela, le nombre de femmes dans ce milieu n'a jamais été élevé. Ce n'est pas un hasard s'il y a si peu de femmes dans la voile, et cela reflète une réalité plus large : dans de nombreux métiers perçus comme masculins, les femmes sont encore sous-représentées.

La société dans laquelle nous vivons n'est pas vraiment faite pour que les femmes puissent s'épanouir pleinement dans des carrières professionnelles, que ce soit dans des domaines de passion ou non. Par exemple, lorsqu'une femme a une famille, la société ne facilite pas les déplacements fréquents et de longue durée, ce qui est souvent nécessaire dans des métiers comme le mien. C'est l’un des nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontées. Dès leur plus jeune âge, les filles sont trop souvent élevées dans l'idée qu'elles doivent douter d'elles-mêmes et tempérer leur ambition, là où l'on encourage les garçons à cultiver la confiance et l'assurance. Cet état de fait est lié à une organisation sociétale qui repose sur des stéréotypes de genre, mais aussi à l’éducation que l’on donne aux futures générations. Militer pour cette cause, c’est donc contribuer à transformer cette réalité. 

Ce que j’aimerais voir changer dans le monde de la voile, et plus largement dans la société, c’est que davantage de femmes osent prendre des risques, même lorsqu’elles n’ont pas toutes les compétences ou l’expérience requises. Il ne s’agit pas de dire que les femmes ne prennent pas de risques, mais il est encore rare de les voir se lancer dans des domaines comme la voile avec moins d’expérience, là où beaucoup d’hommes n’hésitent pas à franchir le pas.

“Le jour où nous verrons plus de femmes oser, même sans toutes les qualifications en main, ce sera le signe d’un véritable changement. Ce regain de confiance chez les femmes ouvrira la voie à bien d’autres transformations. Leur façon d’aborder les métiers traditionnellement perçus comme risqués, tels que la course au large, deviendra alors un puissant indicateur d’un changement profond et plus vaste.” — Isabelle Joschke 

 
 

Isabelle Joschke à bord de l'IMOCA MACSF pour la dixième édition du Vendée Globe 2024. (Ronan Gladu / Voile MACSF)

Les courses en solitaire sont souvent perçues comme un défi individuel ultime. Comment utilisez-vous votre notoriété pour sensibiliser le grand public à la cause de la mixité ?

La notoriété que j’ai acquise en participant à des courses comme le Vendée Globe me donne l’opportunité de défendre des sujets qui me tiennent à cœur, tels que l'égalité des genres et la mixité. C’est d’ailleurs dans cette optique que j’ai cofondé l’association Horizon Mixité. L’idée est d’utiliser la visibilité que m’offre ma participation à ces grandes courses pour prendre la parole et démontrer que les femmes ont toute leur place dans ces métiers. La notion d’exemplarité est au cœur de cette démarche : prouver, à travers mon parcours mais aussi celui d’autres femmes navigatrices, que nous pouvons réussir dans cet univers.

Avec Horizon Mixité, nous menons des actions concrètes pour sensibiliser le public à la mixité. Par exemple, nous intervenons dans les écoles pour échanger avec les jeunes filles et garçons, et les encourager à briser les stéréotypes de genre dès leur plus jeune âge. Martine Gauffeny, cofondatrice de l’association et spécialisée dans le milieu scolaire, a mis en place un programme ambitieux, suivi par près de 10 000 classes autour du Vendée Globe et d’autres courses. Ce programme permet de sensibiliser un large public à la question de la mixité.

En parallèle, nous organisons des navigations avec des équipages exclusivement féminins. L’objectif est de donner aux femmes la confiance nécessaire pour qu’elles puissent ensuite s’intégrer dans des équipages mixtes sans ressentir le besoin de constamment prouver leur valeur. Il ne s’agit pas simplement d’utiliser ma notoriété, mais bien de mettre en œuvre des actions concrètes qui permettent aux femmes de se sentir légitimes et à l’aise dans ce milieu.

Après plusieurs années dans le monde de la course au large, pensez-vous que les femmes sont suffisamment prises en compte dans les décisions stratégiques et techniques dans la voile de haut niveau ?

Malheureusement, je ne pense pas que les femmes soient suffisamment prises en compte dans les décisions stratégiques et techniques au sein de la voile de haut niveau. Cela s'explique en grande partie par notre faible représentation. Les règles et les décisions sont souvent prises par ceux qui participent activement, et lorsque la majorité des participants sont des hommes, leurs besoins et caractéristiques sont privilégiés.

La société dans laquelle nous vivons ne met pas en avant les minorités, et cela se reflète aussi dans la course au large. Prenons l'exemple de la classe IMOCA : tant qu'il y aura si peu de femmes participantes, il sera difficile d'envisager des décisions techniques ou stratégiques qui nous avantagent, ou du moins qui ne nous désavantagent pas. Par exemple, aujourd'hui, les petites tailles sont clairement pénalisées dans la conception des bateaux. Si nous étions plus nombreuses, ces aspects seraient sans doute mieux pris en compte, et des ajustements techniques pourraient être faits pour convenir à une plus grande diversité de gabarits, au lieu de se baser uniquement sur des standards masculins.

« Le changement viendra avec une plus grande représentativité féminine dans la course au large. Plus nous serons nombreuses, plus nous pourrons peser sur les décisions et transformer ce milieu pour qu’il devienne plus inclusif et accessible à toutes, quelle que soit notre taille, notre force physique ou nos compétences. »
— Isabelle Joschke
 
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