ALKÉ : l’équipement sportif, un acte militant
En 2019, alors que la Coupe du monde féminine de football bat son plein en France, une frustration s’empare de Claire Allard et de ses associées, Laura Marcora et Barbara Blanchard. Elles constatent que les femmes, sur les terrains, sont encore contraintes de jouer avec des maillots masculins, peu adaptés à leurs morphologies, et que l’industrie sportive reste majoritairement orientée vers le masculin. C’est ainsi qu’est née ALKÉ, une marque dédiée aux sportives, offrant des vêtements conçus par des femmes et pour des femmes, dans le but de réhabiliter leur place dans le sport.
Cinq ans plus tard, cet engagement féministe prend racine au cœur de l’éco-kiosque ALKÉ situé à Saint-Ouen-sur-Seine. Dans cet entretien accordé à Enflammé.e.s le 30 octobre 2024, Claire Allard revient sur le parcours, les valeurs et les ambitions de cette aventure résolument engagée.
D’où vient le nom ALKÉ, et pourquoi ce logo du colibri ?
ALKÉ, dans la mythologie grecque, est la déesse du courage et de la prouesse. Il était essentiel pour nous de nous ancrer dans une symbolique forte. Nous voulons que chaque femme qui porte un maillot ALKÉ se sente investie de cette force. Nous avons associé cette déesse à l’emblème du colibri, qui incarne la vélocité, la diversité, l’élégance et le dépassement de soi. Cet oiseau, bien que petit, est doté d’une incroyable puissance : il est le seul à pouvoir voler à reculons, à atteindre des vitesses folles, à résister aux changements de climat.
“Nous nous voyons un peu comme David face à Goliath : un petit acteur qui s’engage pleinement et qui continue à faire sa place dans un monde dominé par des géants du sport. ” — Claire Allard
ALKÉ reverse également 1 % de son chiffre d’affaires pour promouvoir le sport féminin. Pourquoi cet engagement dès le lancement de la marque ?
Avant même de lancer la marque, nous avions cette volonté d’accompagner les actions pour le développement du sport féminin. En tant que marque féministe, il nous semblait essentiel de rendre au monde du sport une part de ce qu’il nous offre. C’est pourquoi nous soutenons des initiatives comme Ladies’ Turn, une association au Sénégal qui initie les jeunes filles à la pratique du football dans les écoles des quartiers les plus défavorisés. Ce partenariat va au-delà de la simple donation : il s’agit d’apporter des équipements, des infrastructures, et de sensibiliser les communautés locales au droit des filles à jouer. En Afrique, il peut encore y avoir des freins culturels qui découragent les filles de s’exprimer sur le terrain. Notre action aide à briser ces tabous en impliquant également les garçons, qui deviennent des alliés de leurs coéquipières et contribuent ainsi à faire évoluer les mentalités.
ALKÉ travaille également à promouvoir la diversité corporelle. Comment cela se traduit-il dans vos collections et vos campagnes de communication ?
La diversité est au cœur de notre démarche. Nous voulons que chaque sportive puisse s’identifier aux femmes qui apparaissent dans les campagnes sur notre site internet. Nos castings intègrent donc des femmes de morphologies, d’âges et d’origines variées, pour casser cette uniformité encore trop répandue dans le sport. Quand vous voyez nos maillots, il n’y a pas de norme unique. Nous avons créé des coupes et des tailles adaptées à toutes les morphologies féminines, de sorte que chacune puisse jouer avec aisance et confort.
Lors de notre défilé à la Communale à Saint-Ouen-sur-Seine en septembre dernier, nous avons d’ailleurs montré cette diversité.
Votre engagement pour Octobre Rose est une initiative forte de la marque. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette démarche et sur l’importance de sensibiliser à la santé des femmes ?
Octobre Rose nous tient à cœur parce que le cancer du sein touche une femme sur huit au cours de sa vie. Pourtant, on parle encore très peu de cette maladie. Pour nous, le sport, notamment le football, est un espace de communauté, et c’est justement dans ces lieux de rassemblement que l’on peut lever les tabous. L’idée de s’engager dans cette campagne vient d’une présidente de club de football qui nous a parlé du silence qui entoure cette maladie. Elle avait remarqué que, bien que les clubs soient de grandes communautés, rassemblant parfois plus de mille personnes, on n’y parlait pas du cancer du sein, alors que tout le monde connaît quelqu’un touché par cette maladie.
En initiant cette campagne, nous avons voulu créer un espace de partage et de sensibilisation, ouvert aussi bien aux hommes qu’aux femmes. C’est important que les hommes, eux aussi, soient informés et puissent encourager les femmes autour d’eux à pratiquer l’autopalpation. En fait, le sujet doit cesser d’être tabou pour que la prévention devienne un réflexe collectif.
Votre partenariat avec Keep A Breast Europe Foundation est central dans cette initiative. Pourquoi avez-vous choisi cette association ?
Keep A Breast Europe Foundation nous a séduites par son approche ludique et dédramatisante. L’association se concentre sur l’éducation et la sensibilisation par l’art. Par exemple, leurs bustes peints de femmes sont des œuvres qui rendent le sujet du cancer du sein accessible, non anxiogène.
Leurs supports de communication sont originaux : on y trouve des dessins proches des styles de bande dessinée, avec des personnages de toutes morphologies et couleurs, ce qui casse avec l’image institutionnelle souvent liée à la médecine. Leur approche va au-delà de la sensibilisation au cancer : elle encourage chaque femme à connaître son corps, à reconnaître les variations normales de sa poitrine et à rester attentive aux changements qui pourraient apparaître. L’autopalpation est au cœur de cette démarche de découverte et de connaissance de soi. D’ailleurs, Keep A Breast a développé une application d’autopalpation. Nous avons intégré un QR code sur nos maillots d’Octobre Rose renvoyant vers celle-ci.
Plus récemment, le 22 octobre, en partenariat avec l’association, nous avons organisé une soirée que nous avons pensée comme un moment de rencontre et de partage. Nous avons invité notre communauté : des joueuses, des clubs partenaires de la région parisienne, et aussi nos clientes. Certaines découvraient notre boutique pour la première fois. Keep A Breast a tenu un stand avec des bustes d’autopalpation, pour montrer comment détecter des anomalies. C’était marquant de voir, entre autres, un buste de femme noire. Cela apporte une dimension de diversité qu’on voit rarement dans ce genre d’événements. Les personnes présentes ont pu discuter de leurs expériences personnelles autour de l’autopalpation et de la prévention.
En quoi ces maillots, créés spécifiquement pour Octobre Rose, sont-ils porteurs de sens ?
Chaque année, nous concevons des maillots spécialement pour Octobre Rose. Les clubs qui s’engagent portent ces maillots roses lors des matchs d’octobre. C’est une couleur qui attire l’œil, un moyen de susciter la curiosité, d’inviter à la discussion et à la sensibilisation. Nous collaborons avec plus de 150 clubs, en France et à l’étranger, notamment en Grèce (FC Abalos) et en Irlande (1815 FC). Ces équipes, qui ont déjà un équipementier, se sont spécialement tournées vers nous pour Octobre Rose, car elles apprécient le message de sensibilisation et notre démarche inclusive. Cette campagne nous permet ainsi d’internationaliser notre engagement, en adaptant nos actions au contexte culturel de chaque club.
En 2024, nous avons pu compter en autres sur les clubs de football FC Bourg-la-Reine, AF Garenne Colombes, US Palaiseau ; le club de basket fauteuil armoricain Trégorrois Handisport ; le club omnisports ASPTT Clermont.
Sur chaque maillot vendu, 5 euros sont reversés aux associations qui œuvrent pour la prévention du cancer du sein. Depuis 2019 plus de 30 000 euros ont été reversés à cette cause.
Nous laissons aussi beaucoup de liberté aux clubs pour personnaliser leur design. Certaines équipes, comme le club de football FC Abalos, participent pleinement au processus créatif, jusqu’à intégrer les empreintes de leurs seins dans le design du maillot.
Pour terminer, votre boutique éco-kiosque où vous êtes installés depuis juillet 2024 joue un rôle particulier dans votre engagement. Comment cette idée a-t-elle émergé ?
Notre éco-kiosque est bien plus qu’une simple boutique. C’est un lieu de rencontres, d’échanges, où l’on peut parler librement de sport, mais aussi des questions de genre et des combats féministes. Ici, nous souhaitons accueillir toutes celles et ceux qui s’intéressent à la pratique sportive féminine, pour célébrer la diversité et soutenir la lutte contre les stéréotypes. Nous y organisons régulièrement des événements comme des rencontres, des ateliers, ou des projections. C’est une façon d’ancrer le sport féminin dans l’espace public, de montrer qu’il a toute sa place dans la société. Nous espérons inspirer d’autres initiatives et sensibiliser à l’idée que les femmes peuvent et doivent être visibles sur les terrains, et dans les salles de sport.
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Conseil film : Marinette (2023) par Virginie Verrier, film biographique sur Marinette Pichon, adapté de son autobiographie Ne jamais rien lâcher.
Conseil lecture : Saison des Roses, une bande-dessinée de Chloé Wary, actuellement en cours d’adaptation pour le cinéma par Fanny Sidney (Camille Valentini dans Dix pour cent).