Inégalités salariales : des lois impuissantes

Mars 2023. Les résultats de l’index de l’égalité professionnelle sont publiés. Autosatisfaction généralisée. Cette année, la note moyenne déclarée par les entreprises est en augmentation, s'établissant à 88/100, contre 86/100 en 2022. Ces chiffres sont pourtant trompeurs. Les inégalités restent criantes. Quels indicateurs clés faut-il suivre ? Quelles sont les raisons de ces écarts ? Où en est la législation ? 

Montagne d'euros avec homme et femme

Les inégalités salariales demeurent fortes malgré un cadre législatif contraignant (Unsplash / Enflammé.e.s)

 

Un constat sans appel

Côté rémunération dans le secteur privé, les femmes ne représentent que 21,3 % des plus hauts salaires (78,7 % pour les hommes). Elles sont toujours très minoritaires à la tête des grandes entreprises : 3 femmes seulement dirigent une entreprise du CAC 40, 14 une du SBF 120. En 2019, à travail égal, les femmes gagnent 16,1 % de moins que les hommes. Enfin, à caractéristiques d’emploi identiques, les femmes (57 %) se forment moins que les hommes (61 %), surtout après une naissance.

Tous ces chiffres sont issus de l’édition 2022 des Chiffres-clés : Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes publiée par le ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances en décembre 2022.

 
 

Des causes connues 

Les raisons sont multiples comme le déplorent les intervenants du webinaire organisé par la Région Nouvelle-Aquitaine le 4 mai 2023 sur le thème : « Quelles perspectives pour les droits des femmes dans la sphère professionnelle ? Quelques enjeux sur l’orientation, l’égalité professionnelle, l’entrepreneuriat des femmes ». 

L’orientation scolaire des femmes a un fort impact sur leur carrière future. L’auto-censure est encore trop présente chez les jeunes filles dans le système scolaire. “Cette année, j’ai accompagné une jeune fille qui voulait devenir policière. Influencée par sa famille et la société, elle a finalement opté pour une orientation vers un CAP petite enfance”, raconte Hassina Bouchemla, psychologue de l'orientation au ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse. “En classe de terminale dans la région Nouvelle-Aquitaine, seules 11 % des femmes choisissent l’option informatique contre 62 % l’option biologie”, constate Dominique Jouventin, chargée d'études sur l’emploi et la formation chez Cap Métiers Nouvelle-Aquitaine. Les filles se privent ainsi du secteur du numérique très porteur en termes de salaire. 

«  La définition des grilles salariales reste problématique, car réalisées par des personnes ayant de forts stéréotypes et qui perpétuent de fait les inégalités. »
— Djaouidah Sehili, sociologue du travail

Les inégalités salariales se maintiennent pour plusieurs autres raisons. “Les traditions familiales continuent à imposer aux femmes les activités éducatives et domestiques. La définition des grilles salariales reste, elle aussi, problématique. Elles sont réalisées par des personnes ayant de forts stéréotypes et qui perpétuent de fait les inégalités.  La rémunération des compétences masculines est donc encore plus forte”, remarque Djaouidah Sehili, professeure des universités à l’université de Reims Champagne-Ardenne, et sociologue du travail et des professions, spécialiste de l’intersectionnalité, des processus de discriminations et des inégalités.

Par ailleurs, les femmes sont plus fréquemment en contrats courts ou à temps partiel. Le temps partiel concerne plus d’une femme sur quatre contre moins d’un homme sur dix. Elles y ont majoritairement recours pour des raisons familiales. Cela expliquerait en partie les différences de revenus annuels. Toutefois, les écarts existent de façon intrinsèque. “Si on neutralise cet écart de temps de travail, dans le privé, les femmes restent moins payées de 15 %”,  reconnaît Quentin Lafféter, adjoint au chef du Service Études de l’Insee Nouvelle-Aquitaine.

L’accès aux financements, l’articulation des temps de vie, le manque de confiance et de soutien ainsi que les remarques sexistes sont autant de facteurs qui freinent l’accès des femmes à l’égalité.

Une législation existante mais insuffisamment appliquée 

En dépit d’un important corpus législatif pour l’égalité professionnelle, la situation des femmes sur le marché du travail reste encore fragile par rapport à celle des hommes. 

La loi du 9 mai 2001 (dite loi Génisson) relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a été renforcée par la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Cette dernière impose des négociations sur des mesures de suppression des écarts de rémunérations qui devaient avoir disparu au 31 décembre 2010. 

La loi fixant des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance (dite loi Copé-Zimmermann) promulguée le 27 janvier 2011 et prévoyant l’instauration progressive de quotas pour aller vers la féminisation des instances dirigeantes des grandes entreprises (entreprises publiques et entreprises cotées en bourse) n’a pourtant pas inversé la tendance de départ puisque les femmes restent encore minoritaires.

En mars 2023 sont sortis les résultats annuels de l'index de l'égalité professionnelle. Cet outil d’évaluation pour mesurer et corriger les différences de rémunération dans les entreprises d’au moins 50 salariés a été mis en place par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel promulguée le 5 septembre 2018. Les entreprises doivent atteindre a minima la note de 75 sur 100 d’ici à trois ans. Si leur score est inférieur à 75, elles doivent mettre en place des mesures correctives sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires.

Ainsi les mesures sont nombreuses pour mettre en place une véritable égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail tout en prévoyant des sanctions si elles ne sont pas appliquées par les entreprises du secteur privé comme de la fonction publique. Dans ce cas, comment expliquer la persistance des inégalités ? “Mettre en place des lois est insuffisant. Il faut désormais en contrôler la stricte application dans les entreprises”, conclut Djaouidah Sehili.

 
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