Réformer la définition du viol : un enjeu législatif et culturel

Deux députées, Véronique Riotton (Renaissance) et Marie-Charlotte Garin (Écologiste), présidente et co-rapporteure de la mission parlementaire sur la définition pénale du viol, doivent présenter leurs conclusions mi-décembre.

Après des auditions menées auprès de magistrats, associations, victimes et forces de l’ordre, elles affirment la nécessité d’intégrer explicitement la notion de consentement dans la loi. Marie-Charlotte Garin, députée de la 3e circonscription du Rhône et vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes, partage les enjeux culturels et législatifs de cette réforme essentielle dans cet entretien accordé à Enflammé.e.s le 27 novembre 2024.

Marie-Charlotte Garin

Marie-Charlotte Garin, députée de la 3e circonscription du Rhône et vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes, est également co-rapporteure de la mission parlementaire sur la définition pénale du viol (Jessica Bordeau)

 

Vous avez auditionné une centaine de personnes dans le cadre de votre mission d’information sur la définition pénale du viol. Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Le constat est édifiant : la chaîne pénale est profondément défaillante pour répondre aux besoins des victimes de violences sexistes et sexuelles, et tout particulièrement des victimes de viol. Une réforme législative est indispensable. Trop de femmes se retrouvent abandonnées, notamment celles confrontées à des phénomènes de sidération, qui concernent environ 70 % des victimes.

Il est essentiel que la loi réaffirme une valeur fondamentale : celle de l’autonomie corporelle. En inscrivant la notion de consentement dans la définition légale du viol, nous tournons le dos à certains stéréotypes tenaces, comme celui d’un viol nécessairement commis par violence, contrainte, menace ou surprise et perpétré par un inconnu dans un espace public. La réalité est toute autre : bien souvent, l’agresseur fait partie de l’entourage proche de la victime.

 
 

Le 20 novembre dernier, la proposition de loi de La France Insoumise sur l’intégration du consentement dans la définition pénale du viol a été rejetée en commission. Pourquoi ?

Toute précipitation dans la modification de la loi pourrait compromettre les droits des victimes, qu’elles soient celles d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. C’est un bouleversement culturel que nous engageons, et il exige du temps et de la réflexion. La Suède, par exemple, a consacré deux ans à réformer sa législation. Nous devons agir avec la même prudence.

Certains estiment que le travail transpartisan ralentit une réforme pourtant urgente. Que leur répondez-vous ?

Le travail transpartisan n’a pas été perçu comme un frein lors de la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Pourquoi en serait-il autrement ici ? Notre priorité doit rester la protection des victimes, et pour cela, il faut du temps et une approche rigoureuse.

Pourquoi la mission d’information sur la définition pénale du viol, débutée en décembre 2023, a-t-elle mis autant de temps à se concrétiser ?

J’avais proposé ce sujet dès septembre 2022, mais dans les délégations, les priorités sont établies selon un système de rotation, en fonction du poids politique de chaque groupe. Ce sont finalement les débats européens sur la définition communautaire du viol qui ont joué un rôle décisif, en agissant comme un véritable déclencheur. Heureusement, car ce sujet méritait toute notre attention.

Ces travaux auraient vu le jour de toute façon, mais les aléas institutionnels ont également joué leur rôle. Nos travaux ont été interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale, et le redémarrage d’une institution aussi complexe demande forcément du temps. Cela dit, les choses avancent à nouveau, et nous avons bon espoir de conclure nos travaux en décembre 2024.

De la centralité du consentement dans la définition pénale du viol

Comment la notion de consentement, si elle était inscrite dans la loi, pourrait-elle remettre en question la présomption implicite actuelle ?

La loi actuelle suppose un consentement par défaut, sauf en cas de violence, contrainte, menace ou surprise. C’est précisément parce qu’elle ne définit pas ce qu’est le consentement qu’elle permet de perpétuer cette présomption implicite. En redéfinissant clairement le consentement dans la loi, nous mettrions fin à cette ambiguïté.

Précisément, en quoi cette réforme pourrait-elle contribuer à réduire l’impunité actuelle, sachant qu’en France moins de 2 % des viols aboutissent à une condamnation ?

Il est important de rappeler que cette réforme n’est pas une baguette magique. Réduire l’impunité nécessitera aussi des moyens accrus et un effort important en matière de prévention. Cela passe par l’éducation à la vie sexuelle et affective, ainsi que par de vastes campagnes de sensibilisation pour expliquer ce qu’est le consentement et ce qu’il n’est pas.

“Changer la loi contribuera à cet objectif en ouvrant un débat national sur cette question cruciale. Cela permettra au Parlement de réaffirmer un principe fondamental : le consentement constitue la ligne de démarcation entre un acte sexuel librement consenti et un viol.”— Marie-Charlotte Garin

Certains craignent que cette réforme ne déplace la charge de la preuve vers la victime. Comment l’éviter ?

Sur la question de l’impunité justement, élargir la définition au-delà des quatre critères actuellement inscrits dans la loi permettra non seulement de poursuivre un plus grand nombre d’auteurs présumés, mais aussi de les interroger sur les démarches concrètes qu’ils ont entreprises pour s’assurer du consentement de leur victime.

Aujourd’hui, l’attention est encore portée sur le comportement de la victime. Nous proposons un nouvel outil législatif qui permettra au juge de recentrer l’examen sur l’agresseur avec une question essentielle : « Quelles mesures raisonnables avez-vous prises pour vérifier le consentement ? ».

Les magistrats et les forces de l'ordre insistent sur la difficulté à prouver l'absence de consentement. Comment cela a-t-il influencé votre réflexion législative ?

Cela dépend des interlocuteurs. Les retours diffèrent selon qu’ils proviennent de la gendarmerie ou des forces de police. La gendarmerie, souvent plus active sur le terrain, notamment dans la prise en compte des vulnérabilités et des violences intrafamiliales, se montre généralement plus ouverte sur ces questions.

Cependant, nous sommes bien conscients qu’une modification législative, à elle seule, ne résoudra pas la difficulté de prouver la matérialité des faits. Ce défi restera prégnant. C’est pourquoi nos travaux mettent également l’accent sur la nécessité de moyens d’enquête renforcés. Une enquête aboutie est essentielle pour surmonter les obstacles liés à la preuve et à la matérialité des infractions.

Lors du colloque du 21 novembre au Sénat, les intervenant.e.s ont évoqué la notion d’emprise, de sidération et la difficulté pour certaines victimes de formuler un « non » explicite. Comment une réforme législative pourrait-elle intégrer ces réalités complexes, tout en distinguant un consentement éclairé d’un consentement obtenu sous pression sociale ou économique ?

La prise en compte de ces réalités, comme la sidération ou l’emprise, passe par un élargissement des critères légaux actuels. En effet, il est souvent presque impossible de prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise lorsque la victime est en état de sidération. En ouvrant ces critères, la réforme permettra de mieux répondre à ces situations.

Quant à la distinction entre un consentement éclairé et un consentement obtenu sous pression, il s’agit de reconnaître que certains consentements peuvent être viciés. Cela implique d’évaluer les vulnérabilités des victimes en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles se trouvent. C’est ainsi que nous pourrons protéger efficacement celles confrontées à des rapports de domination ou à des pressions économiques et sociales qui altèrent leur liberté de choix.

L’intégration de la notion de consentement dans la définition pénale du viol fait débat, même au sein des milieux féministes. Quels sont les arguments avancés de part et d’autre ?

Ces derniers temps, plusieurs tribunes ont été publiées dans la presse. Celles en faveur de la modification de la loi, par exemple dans Le Nouvel Observateur, mettent en avant l’urgence de mieux protéger les victimes. À l’inverse, une tribune parue dans L’Humanité exprimait des craintes quant aux possibles effets de cette réforme.

Je ne partage pas une grande partie des arguments opposés à cette évolution législative. Pour ma part, je suis fermement convaincue qu’il est possible d’aboutir à une écriture du texte qui saura rassurer les féministes inquiètes, tout en répondant aux besoins de justice et de protection des victimes.

Comparaisons internationales : le Canada, la Suède et l’Espagne

 Le Canada et la Suède ont réformé leur droit pénal en intégrant le consentement. Que retenez-vous de ces expériences ?

Ces réformes montrent qu’un changement est possible et qu’il peut avoir un impact significatif. Au Canada, où la loi a été modifiée dès les années 1980, le consentement fait aujourd’hui partie intégrante de la culture juridique. En Suède, bien que la réforme soit plus récente, elle illustre également l’importance de l’intégration du consentement dans la législation. Cela dit, chaque pays a ses spécificités, et il est essentiel d’adapter ces enseignements à notre propre système juridique. La Belgique, dont le cadre législatif est plus proche du nôtre, offre aussi un exemple intéressant à examiner.

Ces réformes ont-elles eu un impact sur la réduction de l’impunité et sur la pédagogie sociale du consentement ?

En ce qui concerne la Belgique ou l’Espagne, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de leurs réformes. Les modifications législatives y sont récentes, et il faudra du temps avant d’en mesurer pleinement les effets.

Le cas du Canada, en revanche, est particulièrement intéressant. Lorsque l’on échange avec des personnes nées dans les années 1980, elles racontent qu’elles n’ont jamais connu une société où le consentement n’était pas protégé par la loi. Cela montre à quel point une réforme législative peut transformer durablement les mentalités. On perçoit ici toute la portée culturelle de cette évolution.

Quelles précautions législatives faudrait-il prendre pour éviter les écueils observés dans d'autres juridictions, comme les accusations de « contractualisation des relations sexuelles » ?

L’idée d’un contrat n’a aucun fondement, c’est un épouvantail agité par des forces réactionnaires, inquiètes de voir disparaître certains privilèges et d’abandonner une relation de domination du corps des hommes sur les femmes. Il ne s’agit absolument pas de formaliser les relations sexuelles à travers un contrat, pas plus que lorsqu’on demande à quelqu’un : « Veux-tu aller au restaurant avec moi ? » ou « Souhaites-tu une tasse de thé ? »

Pour mieux comprendre cette idée, je recommande vivement à votre lectorat de visionner la célèbre vidéo sur la « tasse de thé », qui illustre avec clarté et simplicité ce qu’est le consentement.

Le budget de la Justice

Le 21 novembre, Véronique Riotton a évoqué les stéréotypes sur le « bon viol » ou la « bonne victime ». Comment les déconstruire ?

D’abord par la formation, qu’elle soit initiale ou continue, des magistrats, policiers et gendarmes. Mais cela ne suffit pas : ces stéréotypes sont profondément enracinés dans notre culture, véhiculés par les films, les livres et bien d’autres médias. Changer cela demande un effort collectif, qui dépasse les seules portes des tribunaux.

Les intervenants du colloque ont été unanimes sur ce point : les moyens alloués à la justice sont encore insuffisants. Quelle a été la réponse de Salima Saa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes au cours de son audition le 23 octobre ?

J’ai eu l’occasion d’échanger avec elle sur ce sujet lors d’un rendez-vous. Il faut souligner que Salima Saa n’a pas directement la maîtrise des moyens alloués à ces domaines. Cependant, j’ai également interrogé Didier Migaud, le ministre de la Justice, cette semaine, en lui demandant concrètement quelles mesures supplémentaires il comptait prendre.

Bien que des progrès aient été réalisés, il nous faut aller plus loin.  Les associations estiment qu’au moins 2 milliards d’euros seraient nécessaires pour répondre efficacement aux besoins, et je partage leur conviction que des investissements bien plus ambitieux sont indispensables.

Après décembre 2024

Quels effets espérez-vous d’une réforme sur le consentement sur les jeunes qui devraient bénéficier de séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle comme prévu par la loi depuis 2001 ?  

Votre question illustre avec justesse la nécessaire complémentarité entre prévention et répression. La loi, bien qu’elle intervienne en bout de chaîne, joue un rôle crucial dans l’accompagnement d’un véritable changement culturel. Avec cette réforme, nous voulons transmettre aux nouvelles générations une leçon fondamentale : leur corps leur appartient, et le consentement est un droit inaliénable. Ils doivent savoir qu’ils ont le pouvoir de dire « oui » tout comme celui de dire « non ».

“Cette réforme s’inscrit dans la continuité des efforts entrepris pour instaurer une culture du respect et de l’autonomie corporelle. Cela dit, nous sommes conscients qu’elle n’est pas une panacée. À elle seule, elle ne suffira pas à transformer profondément la société, mais elle constitue une étape déterminante dans cette évolution.” — Marie-Charlotte Garin

Quels sont les prochains jalons avant la présentation d’un texte législatif ? Pensez-vous que la proposition de loi transpartisane puisse aboutir avant la fin de cette législature ?

La prochaine étape est la présentation des conclusions du rapport de la mission, prévue pour décembre. Ensuite, nous travaillerons à l’écriture d’une proposition de loi que nous espérons pouvoir soumettre à l’Assemblée d’ici mars 2025.

Par ailleurs, nous avons prévu de saisir le Conseil d’État en amont, afin de garantir que notre texte soit juridiquement solide et qu’il ne risque pas d’être retoqué par la suite.

 
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